"La Naissance du jour" de Colette

Publié le par Michel Sender

"La Naissance du jour" de Colette

« Est-ce ma dernière maison ? Je la mesure, je l’écoute, pendant que s’écoule la brève nuit intérieure qui succède immédiatement, ici, à l’heure de midi. Les cigales et le clayonnage neuf qui abrite la terrasse crépitent, je ne sais quel insecte écrase de petites braises entre ses élytres, l’oiseau rougeâtre dans le pin crie toutes les dix secondes, et le vent de ponant qui cerne, attentif, mes murs, laisse en repos la mer plate, dense, dure, d’un bleu rigide qui s’attendrira vers la chute du jour.

Est-ce ma dernière maison, celle qui me verra fidèle, celle que je n’abandonnerai plus ? Elle est si ordinaire qu’elle ne peut pas connaître de rivales.

J’entends tinter les bouteilles qu’on reporte au puits, d’où elles remonteront, rafraîchies, pour le dîner de ce soir. L’une flanquera, rose de groseille, le melon vert ; l’autre, un vin de sable trop chaleureux, couleur d’ambre, convient à la salade — tomates, piments, oignons, noyés d’huile — et aux fruits mûrs. Après le dîner, il ne faudra pas oublier d’irriguer les rigoles qui encadrent les melons, et d’arroser à la main les balsamines, les phlox, les dahlias, et les jeunes mandariniers qui n’ont pas encore de racines assez longues pour boire seuls au profond de la terre, ni la force de verdoyer sans aide sous le feu constant du ciel… Les jeunes mandariniers… plantés pour qui ? Je ne sais. Peut-être pour moi… Les chats attaqueront par bonds verticaux les phalènes, dans l’air de dix heures bleu de volubilis. Le couple de poules japonaises, assoupi, pépiera comme un nid, juché sur le bras d’un fauteuil rustique. Les chiens, déjà retirés du monde, penseront à l’aube prochaine, et j’aurai le choix entre le livre, le lit, le chemin de côte jalonné de crapauds flûteurs… » [*]

 

Reprenant La Naissance du jour de Colette dans une très agréable édition (« La composition typographique est en Granjon de corps 12 ») précédée de commentaires de Maurice Goudeket (« De tous les livres de Colette, c’est celui que je préfère »), je ne résiste pas à citer pour la beauté du style le commencement du deuxième chapitre [**], l’installation à La Treille muscate, plutôt que la lettre de Sido qui ouvre le livre.

Même si, la référence, tout au long du livre, à l’aide de ses lettres, à sa mère « Sidonie Colette, née Landoy » (Sido), marque l’écriture de La Naissance du jour, présenté comme un roman mais en réalité tout à fait dans la veine des souvenirs des Vrilles de la vigne (1908), de La Maison de Claudine (1922) et bientôt, de Sido (1930).

En effet, après ses deux mariages et ses deux divorces, ainsi que d’autres liaisons, Colette, qui, en 1925, a rencontré Maurice Goudeket et, avec lui, a acheté une nouvelle maison à Saint-Tropez, La Treille muscate, lieu de repos et de méditation, se prête à une nouvelle introspection, en repensant beaucoup à sa mère et en relisant ses lettres.

Elle se place elle-même comme narratrice et personnage du livre, et y mêle, ainsi que ses animaux, sous leurs vrais noms les amis qui lui rendaient visite : Dunoyer de Segonzac, Francis Carco, Régis Gignoux, Thérèse Dorny, Luc-Albert Moreau…

En revanche, elle invente pour le roman, à partir d’ailleurs de personnes réelles, le couple d’Hélène Clément et Valère Vial, pour préciser sa pensée sur les relations amoureuses mais aussi se cacher, en prétendant renoncer à l’amour.

« La Naissance du jour évoque la paix des sens et un renoncement à l’amour, dans le moment que Colette et moi vivions ensemble des heures ardentes », précise Maurice Goudeket, par ailleurs totalement absent de l’ouvrage : « Colette n’a commencé à parler de moi que près de vingt ans plus tard, dans L’Étoile Vesper, sous l’aile de l’amitié », ajoute-t-il…

Ainsi, quoique bancale comme œuvre romanesque et réservée sur les vrais sentiments de l’auteure, au commencement difficile à écrire, La Naissance du jour nous séduit par ses nombreuses descriptions et les volutes multiples de son expression écrite.

C’est pourquoi les livres de Colette (1873-1954), cent cinquante ans après sa naissance et bientôt soixante-dix ans après sa mort, nous fascinent toujours autant et surtout nous ravissent dans leurs aspects autobiographiques.

 

Michel Sender.

 

[*] La Naissance du jour de Colette, illustrée et précédée de commentaires (« L’auteur, le lieu, le cadre », composés d’extraits de Près de Colette de Maurice Goudeket), collection « Les Flammes », éditions Flammarion, Paris, mars 1958 ; 248 pages (édition numérotée, reliée-toilée sous plastique dans un cartonnage).

"La Naissance du jour" de Colette

[**] Dans l’édition « J’ai lu » que je possède [© Ernest Flammarion, 1928 ; 192 pages, 1er trimestre 1973 (en couverture : illustration de Paul Durand)], les chapitres sont numérotés. Pas dans l’édition Flammarion de 1958.

"La Naissance du jour" de Colette

Dans l’édition France Loisirs, en 2011, de Le Blé en herbe et 6 autres romans & nouvelles, les chapitres de La Naissance du jour (© Éditions Flammarion, sans date) ne sont pas numérotés. Cette édition, outre La Maison de Claudine, La Naissance du jour, Le Blé en herbe, Sido et La Chatte, très connus, donne des textes du Képi (Le Képi, Le Tendron, La Cire verte, Armande) et Pour un herbier, moins célèbres.

 

Une particularité linguistique

 

Page 156 de La Naissance du jour (Flammarion, 1958 ; pp. 240-241 de France Loisirs 2011), Colette écrit :

« …, et j’aveignis sous la table la brique plate sur laquelle j’ouvre, à l’aide d’une petite masse de plomb — souvenir de l’imprimerie du « Matin » — les amandes de pins-pignons. »

L’édition J’ai lu, page 112, a corrigé « j’aveignis » en « j’atteignis ».

Or, manifestement, Colette a bien utilisé, en le conjuguant, le verbe « aveindre » : aller prendre un objet (Littré).

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