"Au-delà des illusions" de Duong Thu Huong

Publié le par Michel Sender

"Au-delà des illusions" de Duong Thu Huong

« Pour la première fois, elle se sent ferme sur terre, elle n’éprouve plus le besoin de s’appuyer sur quelqu’un. Une nuit calme et douce. Elle entend les feuilles tomber, les jeunes pousses saillir, les fleurs s’épanouir. Derrière ces sons, jaillit une autre musique, muette, la musique qui sourd de l’intimité des êtres humains, là où toute conscience se paie avec de la douleur, là où les espoirs neufs se construisent à partir de la ruine des illusions, là où la vie, comme des lianes d’immortelles, recouvre les couronnes et les bouquets resplendissants. En dépit des ruines. En dépit du mensonge. » [*]

 

Après Le Jardin des égarements de Li Ang (voir ce blog le 25 janvier 2024), j’ai choisi de lire Au-delà des illusions, un des premiers romans de Duong Thu Huong, écrivaine vietnamienne.

Contrairement à mon habitude, j’en reprends les dernières lignes car elles symbolisent bien le parcours intérieur de libération de la principale femme du livre, Linh.

Dans le contexte des premières années de la réunification du Vietnam (la fin des années 1970), le couple de Linh, professeure de littérature, et de Nguyên, journaliste en vue, tous deux faisant « partie de le génération née après la révolution » [1945] et habitant Hanoï, se délite.

En fait, Linh ne supporte pas la façon dont son mari Nguyên a changé, les compromissions multiples qu’il fait en direction du régime communiste officiel, son manque de vigilance intellectuelle et la routine qui s’est installée dans leur vie.

Elle décide donc, malgré la présence de leur enfant, Huong Ly, de se séparer de lui et de quitter le domicile conjugal, une situation inconfortable pour elle, d’autant plus, qu’ayant rencontré un compositeur célèbre, Trân Phuong, plus âgé qu’elle, elle devient sa maîtresse.

À cette occasion, la surveillance morale de la société vietnamienne se met à l’œuvre ; le bruit court de leur séparation et de la liaison de Linh, ce qui provoque des protestations de parents d’élèves et son retrait du lycée en tant que professeure : elle se retrouve rétrogradée au rôle de simple bibliothécaire.

De son côté, Nguyên a une aventure insatisfaisante avec une autre journaliste, Ngoc Minh, une femme qui par ailleurs a également été la maîtresse de Trân Phuong, qui s’avère avant tout un séducteur invétéré et un homme volage, incapable de quitter sa femme, Mme Hoa, avec qui il entretient une relation de dispute et de continuité.

Très vite, Linh délaisse Trân Phuong, ayant ressenti son peu de compassion, tandis que Nguyên comprend petit à petit que ses accommodements avec le pouvoir l’entraînent dans de plus en plus de lâchetés. Dans le même temps, la directrice de l’établissement de Linh admet qu’elle a eu tort de suivre l’opinion publique et lui redonne son poste d’enseignante…

Avec Au-delà des illusions, un roman plein de finesse mais aussi de retenue (le livre a été à l’époque publié au Vietnam ; depuis, son auteure a quitté le pays), Duong Thu Huong commençait à explorer et à dénoncer les contradictions de la société vietnamienne, tout en développant une grande empathie avec ses personnages féminins.

 

Michel Sender.

 

[*] Au-delà des illusions (Bên kia bo ao vong, 1987) de Duong Thu Huong, roman traduit du vietnamien par Phan Huy Duong, éditions Philippe Picquier, Arles, août 1996 ; 288 pages, 139 F.

"Au-delà des illusions" de Duong Thu Huong

Dans l’œuvre de Duong Thu Huong, dont tous les livres traduits en français sont aujourd’hui publiés chez Sabine Wespieser, seuls Au-delà des illusions, ainsi que Myosotis paru en 1998 et réédité en poche en janvier 2023, restent chez Philippe Picquier.

Publié dans Littérature

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