La "Terre Humaine" de Jean Malaurie

Publié le par Michel Sender

La "Terre Humaine" de Jean Malaurie

« Ils étaient entrés à l’Ancienne Taverne alors que nous finissions le breakfast, et Harmon nous présenta à l’autre, dont j’ai oublié le nom, un nom à consonance française. Un homme de moyenne corpulence, au corps noueux. Brun, mais il commençait à grisonner. Le visage simiesque n’allait pas sans bienveillance. Il portait des pantalons foncés, une chemise blanche fraîchement empesée, sans col. Comme coiffure, un feutre souple de paille jaune, orné d’un ruban à fleurs. De vieux souliers, fraîchement passés au noir, qui ne reluisaient pas. Des bretelles neuves ou presque, bleues, avec des rayures jaunes aux extrémités. Un homme courtois, prenant choses et gens comme ils viennent, amical même, chez qui la tension nerveuse ne se remarquait pas tellement. Harmon le laissa parler, nous observant derrière ses lunettes, l’air pensif. Dans la rue les gens ralentissaient au passage et jetaient un coup d’œil sur nous. Walker dit que ça ne les dérangerait pas si on prenait des photos ? et il dit Bien entendu, naturellement, prenez tous les instantanés que vous avez envie de prendre. Enfin, si vous réussissez à empêcher les nègres de se tirer, quand ils apercevront la caméra. Quand ils virent l’équipement entassé à l’arrière de la voiture, il devint clair que nous avions tiré parti de la situation, à leur avis, mais ils ne soufflèrent mot. » [*]

 

À l’annonce, le 5 février à Dieppe, de la mort de Jean Malaurie, explorateur, écrivain (Les Derniers Rois de Thulé, en 1955, inaugura la collection) et éditeur (« Terre Humaine », chez Plon), j’ai repris (« L’un des grands témoignages du siècle », dit la bande) Louons maintenant les grands hommes, l’ouvrage emblématique de James Agee (pour le texte) et Walker Evans (les photographies).

Car la collection « Terre Humaine », « collection dirigée par Jean Malaurie », a été une des plus grandes réussites de l’édition française et, surtout, un état d’esprit, un manifeste d’ouverture sur le monde entier, avec des titres inoubliables, mêlant littérature, art et ethnographie.

Et, derrière chacune des publications de « Terre Humaine », il y avait la patte, l'engagement, l’intelligence et l’énergie de l’homme Jean Malaurie, dont l’œuvre demeurera immortelle.

 

Michel Sender.

 

[*] Louons maintenant les grands hommes (Let us now Praise Famous Men, 1941) — Alabama : Trois familles de métayers en 1936 par James Agee et Walker Evans, traduit de l’américain par Jean Queval, collection « Terre Humaine », Librairie Plon, Paris, 1972 ; nouvelle édition revue, avec 62 photographies hors texte, mai 1983, 480 pages, 120 F (volume relié cartonné sous jaquette ; en couverture : photographie de Walker Evans).

Jean Malaurie (1922-2024)

Jean Malaurie (1922-2024)

Publié dans Littérature

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