"À l’Ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque

Publié le par Michel Sender

"À l’Ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque

« Nous sommes à neuf kilomètres en arrière du front. On nous a relevés hier. Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs avec de la viande de bœuf et nous sommes rassasiés et contents. Même, chacun a pu encore remplir sa gamelle pour ce soir ; il y a en outre double portion de saucisse et de pain : c'est une affaire ! Pareille chose ne nous est pas arrivée depuis longtemps ; le cuistot, avec sa rouge tête de tomate, va jusqu'à nous offrir lui-même ses vivres. À chaque passant il fait signe avec sa cuiller et lui donne une bonne tapée de nourriture. Il est tout désespéré parce qu'il ne sait pas comment il pourra vider à fond son « canon à rata ». Tjaden et Müller ont déniché des cuvettes et ils s'en sont fait mettre jusqu'aux bords, comme réserve. Tjaden agit ainsi par boulimie, Müller par prévoyance. Où Tjaden fourre tout cela, c'est une énigme pour tout le monde : il est et reste plat comme un hareng maigre. » [*]

 

Suite à une nouvelle adaptation cinématographique (assez éloignée du roman mais avec de réelles qualités) d’À l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque par Edward Berger sur Netflix, j’ai eu envie de relire le livre. Ne retrouvant pas mon exemplaire du Livre de Poche [**], j’en ai carrément racheté une réimpression récente.

« Ce livre n’est pas une accusation ni une profession de foi ; il essaie seulement de dire ce qu’a été une génération brisée par la guerre — même quand elle a échappé à ses obus. » Cet exergue à l’édition allemande (non reprise au Livre de Poche mais figurant notamment dans une réédition Stock préfacée par Patrick Modiano) ressemble fort à une mention légale du genre : « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite », évidemment mensongère et inutile tellement le livre reste une accusation absolue et qui explique son immense succès.

En effet, dès sa parution fin 1928 dans la Vossische Zeitung du groupe Ullstein de Berlin puis en volume début 1929, À l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque eut un retentissement mondial qui écrasa d’ailleurs totalement d’autres témoignages publiés à la même époque [***].

La force d’À l’Ouest rien de nouveau réside dans la grande qualité de sa construction où Erich Maria Remarque, sur la base d’une authentique expérience de la guerre, a réussi à synthétiser, d’une manière « naturelle », grâce à la présentation d’un journal à la première personne du singulier (« cette force qui est en moi et qui dit “Je” », derniers mots du narrateur), différents aspects du conflit et de la vie militaire.

Plus que d’être pacifiste (« Nous étions devenus soldats avec enthousiasme et bonne volonté, mais on fit tout pour nous en dégoûter », explique encore le narrateur), À l’Ouest rien de nouveau exprime avant tout un antimilitarisme viscéral et conscient.

Car les amis du personnage principal, Paul Baümer, comme lui, ont été influencés et manipulés par les discours nationalistes de leur professeur Kantorek dont ils ont vite compris l’inanité, puis ont souffert, dès l’entraînement, des brimades d’un caporal infect, Himmelstoss, dont plus tard ils se vengeront.

Remarque raconte très simplement le quotidien des soldats, leur obsession de la nourriture (une constante de toute vie carcérale, car l’armée reste une prison), leur détestation des défilés et des corvées, un cas de désertion, leur misère sexuelle, la mixité sociale du contingent (« Notre classe fut répartie par trois et par quatre entre les escouades, et nous nous trouvâmes avec des pêcheurs, des paysans, des ouvriers et des artisans frisons, avec qui nous devînmes rapidement bons amis ») et la solidarité qui en découle, sans aucun chauvinisme (Paul appelle « camarade » un soldat français qu’il vient de tuer).

Il décrit bien sûr les combats, les morts et les blessés, avec les infirmeries et les hôpitaux de l’arrière (avec leur « chambre aux morts »), les amputations et les opérations… mais aussi la souffrance des animaux (les chevaux qui agonisent), la condition de prisonniers russes qu’il croise dans un camp… ou encore les permissions et l’impossibilité de communiquer, de dire la vérité sur la guerre ou de l’écrire aux proches…

C’est pourquoi À l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque demeure une œuvre inoubliable qui, à chaque relecture, nous frappe par sa justesse et son humanité.

 

Michel Sender.

 

[*] À l’Ouest rien de nouveau (Im Westen nichts Neues, 1928) d’Erich Maria Remarque, traduit de l’allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac [Stock, 1929], Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, impression de février 2022 ; 256 pages, 6,10 €.

"À l’Ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque

[**] Cette couverture du Livre de Poche est restée dans ma mémoire.

"À l’Ouest rien de nouveau" d'Erich Maria Remarque

[***] Je pense par exemple à Schlump d’Hans Herbert Grimm (1896-1950), de la même génération qu’Erich Maria Remarque (1898-1970), dont le livre, paru anonymement en 1928, n’a été traduit en français que récemment (par Leïla Pellissier, Presses de la Cité, 2014 ; réédition France Loisirs en septembre 2015).

Publié dans Littérature

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