"Une Fille du Régent" d'Alexandre Dumas

Publié le par Michel Sender

"Une Fille du Régent" d'Alexandre Dumas

« Le 8 février 1719, une chaise armoriée des trois fleurs de lis de France, avec le lambel d’Orléans au chef, entrait, précédée de deux piqueurs et d’un page, sous le porche roman de l’abbaye de Chelles, au moment où dix heures sonnaient.

Arrivée sous le péristyle, la chaise s’arrêta ; le page avait déjà mis pied à terre, la portière fut donc ouverte sans retard, et les deux voyageurs qu’elle contenait descendirent.

Celui qui en sortit le premier était un homme de quarante-cinq à quarante-six ans, de petite taille, assez replet, haut en couleur, bien dégagé dans ses mouvements et ayant dans tous ses gestes un certain air de supériorité et de commandement.

L’autre, qui descendait lentement et un à un les trois degrés du marchepied, était petit aussi, mais maigre et cassé ; sa figure, sans être précisément laide, offrait, malgré l’esprit qui étincelait dans ses yeux et l’expression de malice qui relevait le coin de ses lèvres, quelque chose de désagréable ; il paraissait très sensible au froid, qui en effet piquait assez vivement, et suivait son compagnon tout en grelotant sous un vaste manteau. » [*]

 

Dans l’attente d’une édition correcte de La Dame de Monsoreau (suite théorique de La Reine Margot), j’ai plongé dans Une Fille du Régent, un des rares Marabout des années soixante de ceux que je possède dont le texte soit intégral.

Une Fille du Régent, publié en 1844 dans Le Commerce puis chez Alexandre Cadot, se rattache ouvertement (avec une mention directe du titre au début du chapitre XIII) au Chevalier d’Harmental, paru dans Le Siècle puis en 1842 chez Dumont.

On sait, grâce à Gustave Simon et à son maître livre (Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, chez Crès, en 1919) que Le Chevalier d’Harmental (intitulé d’abord Le Bonhomme Buvat ou La Conspiration de Cellamare, « que j’ai seul conçu » disait Auguste Maquet), lança la « collaboration » entre Auguste Maquet et Alexandre Dumas et comment « le premier roman de Maquet devint le septième roman de Dumas ».

Le Chevalier d’Harmental, qui se déroule en 1718, évoque une première conspiration contre le Régent Philippe d’Orléans et Une Fille du Régent, en 1719, une autre conjuration contre lui, celle des nobles Bretons et du marquis de Pontcallec (orthographié Pontcalec dans le roman).

Or là, le dispositif de la collaboration Dumas-Maquet fut modifié. C’est Alexandre Dumas qui écrivit une pièce de théâtre puis qui en confia la rédaction d’un roman à Auguste Maquet, sur une période historique qu’il connaissait bien. Toujours dans Gustave Simon, Auguste Maquet précise : « Une Fille du Régent, pièce de Dumas, mise par nous en 4 volumes, 1844. »

Passons.

Donc, comme pour Le Chevalier d’Harmental, Une Fille du Régent met en avant les personnages (réels) du Régent Philippe d’Orléans et de son éminence grise, l’abbé Joseph Dubois, qui en dirige une police secrète redoutable et très efficace qui éventera facilement le complot préparé par les Pontcalec, Talhouet, Montlouis et du Couëdic de Bretagne.

L’instrument du crime, Gaston de Chanlay, un jeune nobliau tendre et naïf, part pour Paris, tandis que sa fiancée, Hélène de Chaverny, rejoint Rambouillet : on apprendra assez rapidement qu’il s’agit d’une fille cachée du Régent.

Voici le dilemme cornélien installé. Gaston veut tuer (une rancœur familiale l’y pousse viscéralement) le père de celle qu’il aime !

De tout cela, Dumas et Maquet font un mélo agréable, avec masques et faux noms, intrigues policières et secrets, un Régent finalement bonne pâte mais accompagné d’un abbé Dubois retors et machiavélique qui, s’il arrêtera la réalisation de l’attentat programmé et tous ses protagonistes, empêchera par ailleurs le mariage des deux amoureux…

Une Fille du Régent n’est pas le meilleur livre du duo Dumas-Maquet mais il nous entraîne dans une lecture passionnante. Je goûte particulièrement les savoureuses descriptions du séjour de riches prisonniers à la Bastille, leurs moyens de communication et la mansuétude du gouverneur de Launay qui les invite à sa table.

 

Michel Sender.

 

[*] Une Fille du Régent (1844) d’Alexandre Dumas [et Auguste Maquet], Bibliothèque Marabout Géant, éditions Gérard & Co, Verviers (Belgique), 1966 ; 512 pages.

"Une Fille du Régent" d'Alexandre Dumas

À noter : dans le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence, sorti en 1975, on retrouve le Régent, l’abbé Dubois et Pontcallec, interprétés respectivement par Philippe Noiret, Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle. (En 1994, Bertrand Tavernier s’est encore amusé avec La Fille de d’Artagnan, allusion directe à Dumas et aux Trois Mousquetaires.)

Publié dans Littérature

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