"Maroussia" de P.-J. Stahl

Publié le par Michel Sender

"Maroussia" de P.-J. Stahl

« Je vais vous raconter ce qui s'est passé il y a bien longtemps en Ukraine, dans un coin ignoré, mais frais et charmant, de cette contrée.

J'aime beaucoup les contrées dont on ne parle guère, que l'étranger ne visite pas, qu'on laisse à elles-mêmes, qui gardent pour elles leurs retraites et leurs secrets, leurs fleurs et leurs sentiments, leurs dures peines et leurs simples plaisirs. Leur histoire n'est point à tous. Les mœurs de leurs habitants sont bien leurs mœurs, et, s'ils sont fiers, c'est sans s'en douter. On y rencontre ce qu'on ne trouverait nulle part ailleurs : choses et gens sont nouvelles et nouveaux. Ces pays-là — sans le dire à personne — ont quelquefois leurs héros, de vrais héros. » [*]

 

En 1878, la « Bibliothèque d’éducation et de récréation » de Jules Hetzel, publie, illustré pour la dernière fois par Théophile Schuler (illustrateur notamment des livres d’Erckmann-Chatrian et qui vient de mourir), Maroussia de P.-J. Stahl (on sait que ce pseudonyme cache l’éditeur lui-même, Pierre-Jules Hetzel).

L’ouvrage est présenté (mais la mention en disparaîtra progressivement même si le Nota Bene final le rappelle) « d’après une légende de Markowovzog ». Il s’agit en fait d’une longue nouvelle de Marko Vovtckok (1833-1907), pseudonyme de Maria Markovitch, née Vilinska, écrivaine russe d’origine ukrainienne qui en a fourni, lors d’un passage à Paris, une première traduction littérale française (remaniée ensuite par lui) à Hetzel.

L’éditeur procédait d’ailleurs souvent à des adaptations d’auteurs étrangers (en mentionnant à peine leur nom), comme par exemple pour Les Patins d’argent de Mary Mapes Dodge ou Les Quatre Filles du Docteur Marsch « d’après » L.-M. Alcott, « par » P.-J. Stahl.

En tout cas, la « paternité » de Marko Vovtchok sur Maroussia est manifeste (l’édition russe se présentait d’ailleurs comme traduite du « petit-russien », l’ukrainien), tandis que la version de P.-J. Stahl, très bien écrite et enlevée, lui a donné un retentissement international (elle fut en effet retraduite ensuite dans de nombreuses langues).

En Ukraine, au XVIIe siècle (vers 1666, pensait Tourgueniev), dans une ferme où vit le cosaque Danilo Tchabane avec sa famille, arrive un voyageur inconnu, Tchetchevik, très grand, qui vient de la Setch des Zaporogues (celle de Tarass Boulba) et se cache des soldats occupants (l’Ukraine alors est envahie, d’un côté par les Polonais, de l’autre par les Russes). Il souhaite se rendre à Tchiguirine, pour y rencontrer l’ataman.

C’est la fille de Danilo, Maroussia, une enfant de sept ans très débrouillarde, qui va l’accompagner en menant un charriot de fourrage avec des bœufs, jusqu’à la maison de maître Knich, un homme taiseux mais fidèle à la cause.

Déguisés ensuite en barde chanteur pour Tchetchevik et en mendiante pour Maroussia, tous les deux, après Tchiguirine et en traversant le Dniepr, se rendent à Batourine puis à Gadiatch où Méphodiévna, la belle-sœur de l’ataman, les soutient dans leur lutte et adopte Maroussia.

Un an plus tard, Maroussia, toujours aux côtés de Tchetchevik, prise dans une embuscade, parvient, en se sacrifiant, à faire parvenir un message (des couronnes de fleurs et un mouchoir rouge) aux autres résistants…

En écrivant Maroussia, après la guerre de 1870, P.-J. Stahl pensait ouvertement, lui, à l’Alsace-Lorraine perdue et occupée, attendant sa libération, et fait de Maroussia une Jeanne d’Arc ukrainienne.

Cependant, pour éviter tout didactisme, le livre est truffé de contes (« Un conte de brigands »), d’histoires (l’ « Histoire de l’écrevisse », en forme de parabole) ou d’adages (« Ne jouez pas avec les poignards ») qui divertissent la lecture et lui évitent le mélo.

C’est ainsi que Maroussia traverse les années et, chaque fois que l’on parle de l’Ukraine, rappelle son peuple héroïque.

 

Michel Sender.

 

[*] Maroussia [Маруся, 1872] de P.-J. Stahl [et Marko Vovtchok], Librairie Hachette, Paris, 1926 ; 256 pages, relié-cartonné vert (impression de septembre 1937). [L’impression de 1937 est strictement conforme (y compris les coquilles) à la composition typographique de 1926 — disponible sur Gallica.]

L’édition Hachette 1926, à part la dédicace à Alsa, fille de l’illustrateur Théophile Schuler, la préface du 26 décembre 1878 et la note 1 du premier chapitre, respecte le texte des éditions (illustrée 1878 et huitième édition Hetzel) disponibles sur Gallica. Elle reprend par exemple le Nota Bene de l’auteur en fin de volume.

1. « L'histoire de Maroussia, écrite par nous en 1873, a été publiée par le journal le Temps, en décembre 1875. L'Hetman de M. Déroulède a été joué à l'Odéon en 1877. Si nous ne nous trompons pas, le drame procède, à l'insu même de son auteur, des faits historiques qui ont donné naissance à la légende de Maroussia. Rien cependant ne se ressemble moins que les deux œuvres, ce qui prouve une fois de plus que la même terre peut donner des fruits bien  différents. »

"Maroussia" de P.-J. Stahl

En revanche, l’édition France Loisirs (malgré un dossier de Nicole Bon sur « Maroussia ou un cri de liberté ») de janvier 1993, qui reprend une version G. P. 1955, donne un texte très abrégé et non conforme.

"Maroussia" de P.-J. Stahl

À noter. D’après son résumé, le film muet, court-métrage de Paul Gavault, L’Enfant guidait ses pas (en anglais, A Russian Heroine), « légende héroïque d’après une chanson ukrainienne », projeté pour la première fois au cinéma Pathé-Grolée de Lyon le 31 décembre 1909 (production « Le Film d’Art »-Pathé Frères), est manifestement, sans le dire, inspiré de Maroussia.

Publié dans Littérature

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