"Gustave Flaubert et Michel Lévy — Un couple explosif" de Yvan Leclerc et Jean-Yves Mollier

Publié le par Michel Sender

"Gustave Flaubert et Michel Lévy — Un couple explosif" de Yvan Leclerc et Jean-Yves Mollier

« Tous les journaux ont raconté la manière foudroyante dont cet homme, d’une si forte constitution et d’une énergie exceptionnelle, vient de quitter la sphère d’activité où il brillait parmi les plus célèbres. Michel Lévy était une des âmes de Paris, une de ces âmes ardentes au travail et douées du génie des affaires, dont l’action rayonne sur le monde entier, puissants instruments de civilisation, forces réelles dont l’extinction est un événement public. »

 

Ainsi s’exprimait, quelques jours après la mort de l’éditeur Michel Lévy, George Sand, dans un texte daté de « Nohant, 8 mai 1875 » écrit pour L’Univers illustré et repris dans Dernières pages, en 1877 chez Calmann Lévy. (George Sand, elle-même, mourut un an plus tard en 1876.)

George Sand l’avait rencontré après 1848 grâce à Victor Borie et, progressivement, avec les interventions d’agents littéraires de l’époque (Hetzel, Émile Aucante ou Noël Parfait) ou le rachat de la Librairie Nouvelle, Michel Lévy — de la même façon qu’il avait obtenu de reprendre  les œuvres de Balzac, de Stendhal, d’Alexandre Dumas puis de Gérard de Nerval, de Baudelaire ou de Victor Hugo — devint son éditeur attitré.

En effet, dans la suite de Gervais Charpentier avec sa « Bibliothèque Charpentier », Michel Lévy avait créé une « Bibliothèque contemporaine » puis la « Collection Michel Lévy », à un ou deux francs, où il diffusait un grand nombre d’écrivains, une politique de petits prix qui lutta contre les contrefaçons belges et développa grandement la lecture, avec l’essor des transports ferroviaires et des bibliothèques de gares dont bénéficia également Louis Hachette.

Ainsi, dans Gustave Flaubert et Michel Lévy — Un couple explosif [*], Yvan Leclerc (spécialiste de Gustave Flaubert) et Jean-Yves Mollier (historien de l’édition) s’attachent à retracer les liens entre l’écrivain Gustave Flaubert et Michel Lévy qui, en 1857, publia Madame Bovary en deux volumes.

En fait, le contrat fut signé fin décembre 1856, dès après la fin de parution de Madame Bovary, en six livraisons, du 1er octobre au 15 décembre, dans La Revue de Paris. Le procès intenté à Flaubert retarda simplement la sortie du livre à avril 1857.

Ce procès coûta très cher à Flaubert qui dut payer les frais d’avocat et de sténographie des débats mais, grâce au flair de Michel Lévy qui l’intégra dans ses collections bon marché et profita de la publicité judiciaire, Madame Bovary devint un très grand succès et fit énormément connaître son auteur.

Cinq ans après, Gustave Flaubert signe donc de nouveau avec Michel Lévy, pour dix ans, pour la continuation du droit d’édition de Madame Bovary et la publication de son nouveau roman « antique », Salammbô. Cette fois, le contrat a été négocié avec l’intervention d’un notaire et précise que l’auteur réserve son roman suivant, qui sera « moderne », au même éditeur.

En outre, pour Salammbô, qui paraîtra en novembre 1862, Flaubert souhaite avant tout de belles éditions (en un volume in-octavo) et, par ailleurs, refuse toute « édition illustrée des deux romans de Madame Bovary et de Salammbô, sous quelque forme et sous quelque prétexte que ce soit » ainsi que les publications en feuilletons.

Ainsi, bien qu’imprimé à moins d’exemplaires, Salammbô rapporta pratiquement autant que Madame Bovary et suscita une mode antique très élitiste.

En revanche, sept ans après, pour la publication du roman « moderne », L’Éducation sentimentale, paru en deux volumes en novembre 1869, les négociations furent plus âpres et, mêlées à des tractations pour l’édition des dernières œuvres de son ami Louis Bouilhet disparu la même année, provoquèrent une crise puis une rupture brutale, en 1872, entre Flaubert et Michel Lévy.

En effet, L’Éducation sentimentale fut un échec commercial et Michel Lévy ne versa pas les sommes promises à Flaubert qui, d’autre part, s’était engagé à payer une partie de l’impression des Dernières Chansons de Louis Bouilhet, ouvrage qui ne rentra pas dans ses frais.

Dès lors, Gustave Flaubert, dans sa correspondance, traita Michel Lévy de noms d’oiseaux couplés à des remarques antisémites, et coupa les ponts avec lui. Michel Lévy, de son côté, multiplia les tirages jusqu’aux derniers moments de ses contrats tandis que Flaubert se mettait d’accord (quasiment en même temps qu’Émile Zola), pour ses livres suivants (La Tentation de saint Antoine et Le Candidat, en 1874 ; Trois Contes en 1877) avec Georges Charpentier qui succédait à son père.

Madame Bovary, Salammbô et L’Éducation sentimentale, présentés comme de « nouvelles  éditions », reparurent ainsi chez Charpentier respectivement en 1873, 1874 et 1879 (Flaubert mourut en 1880). Le droit à des rééditions fut également accordé à Alphonse Lemerre qui, en 1881, eut la primeur de Bouvard et Pécuchet, « œuvre posthume » (lire ce blog le 3 février 2021).

Gustave Flaubert et Michel Lévy — Un couple explosif retrace bien les quinze années, d’« un mariage réussi » à « un douloureux divorce », de relations contrastées entre un grand écrivain jaloux de son art et un entrepreneur exemplaire, précurseur de l’édition moderne.

 

Michel Sender.

 

[*] Gustave Flaubert et Michel Lévy — Un couple explosif de Yvan Leclerc et Jean-Yves Mollier, éditions Calmann-Lévy (« Éditeur depuis 1836 »), Paris, novembre 2021 ; 184 pages (+ « cahier iconographique » de 16 pages), 18,50 €.

Publié dans Littérature

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