"L'Embûche" de Jean Laborde

Publié le par Michel Sender

"L'Embûche" de Jean Laborde

« Jean-Paul Faline sauta de la chaise sur laquelle il avait grimpé une minute auparavant sous le prétexte d’arracher des micros cachés dans la grille d’aération. Il tenait entre ses mains un sac de voyage lourdement chargé ainsi qu’un linge blanc enveloppant un objet. Il le déplia et un revolver apparut. Il l’empoigna avec un sourire. Une sensation de bien-être et de sécurité l’envahissait. De nouveau il était le « patron ». Pas pour longtemps peut-être, mais peu importe. Il s’amusa de la mine effarée de Gisèle Noblet, son avocate plantée devant lui dans le parloir de la Santé.

— Vous allez vous faire tuer, Jean-Paul, dit-elle d’une voix qui tremblait.

— Possible, fit-il en ouvrant le sac d’où il sortit une bombe lacrymogène qu’il arma puis un crochet de fer recourbé muni d’une longue corde bleue. Des pas résonnèrent dans le couloir. Le gardien, Fernand Roche, revenait avec le dossier que Faline lui avait demandé d’aller chercher dans sa cellule, se servant de ce prétexte pour l’éloigner. Faline reprit son revolver qu’il avait posé sur la table et fit venir une balle dans le canon.

— Ne le tuez pas, fit Gisèle d’une voix suppliante. » [*]

 

Trois détenus qui s’évadent le même jour de trois prisons différentes ; leurs évasions organisées par un groupe terroriste, Action Rouge ; l’enlèvement d’un Premier ministre par l’ennemi public numéro 1, Jean-Paul Faline (on pense à Jacques Mesrine), « le Mandrin du XXe siècle », un des évadés avec les deux autres, ancien amant d’une terroriste allemande menacée d’extradition et dont il exige la libération ; des négociations délicates sachant que le Premier ministre et le président de la République se détestent…

En effet, le Premier ministre, René Charas (il ressemble un peu à Jacques Chaban-Delmas ou à Jacques Chirac), « brillant, fonceur », n’est pas satisfait des conditions de l’exercice de ses fonctions et de ses projets de réformes bloqués par l’Élysée ; il entre en conflit avec le président Jacques Monteaux (Valéry Giscard d’Estaing ?) et, quelques jours plus tard, est victime d’un enlèvement faisant penser à celui d’Aldo Moro en Italie…

Pour faire pression sur l’exécutif qui refuse de céder et en accord avec son ravisseur principal, dans un contexte de charivari gouvernemental et parlementaire, René Charas organise lui-même sa défense à base de courriers ou d’enregistrements accusateurs. Pour cela, il se sert de sa femme et de sa maîtresse, de son ami, le ministre de l’Intérieur, d’une journaliste, d’un « communicant », etc., n’hésitant pas à faire chanter le président, soucieux de cacher une liaison secrète…

Voilà grosso-modo le pitch de L’Embûche, un roman de Jean Laborde (1918-2007), journaliste et chroniqueur judiciaire, auteur à succès (par exemple Les Assassins de l’ordre) et scénariste (Peur sur la ville), ayant également signé Jean Delion ou Raf Vallet (notamment Mort d’un pourri ou Adieu, poulet !) des polars pour la « Série noire ».

L’Embûche, imprimé en avril 1981 et paru en mai de la même année, reste significatif de la France pompidolo-giscardienne d’avant mai-81 et d’une littérature de dénonciation plutôt poujadiste d’une société décadente aux scandales retentissants : « Et il rappela un certain nombre d’affaires, la feuille d’impôts d’un Premier ministre, les diamants reçus par un Président de la part d’un empereur africain, qui ne prirent de l’ampleur qu’en raison d’une riposte trop mûrement réfléchie » (page 158), nous dit Jean Laborde.

 

Michel Sender.

 

[*] L’Embûche de Jean Laborde, éditions Robert Laffont-Opera Mundi, Paris, mai 1981 ; 348 pages.

Publié dans Littérature

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