"L’État et la révolution" de Lénine

Publié le par Michel Sender

"L’État et la révolution" de Lénine

« Il arrive aujourd’hui à la doctrine de Marx ce qui est arrivé plus d’une fois dans l’histoire aux doctrines des penseurs révolutionnaires et des chefs des classes opprimées en lutte pour leur affranchissement. Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. C’est sur cette façon d’ « accommoder » le marxisme que se rejoignent aujourd’hui la bourgeoisie et les opportunistes du mouvement ouvrier. On oublie, on refoule, on altère le côté révolutionnaire de la doctrine, son âme révolutionnaire. On met au premier plan, on exalte ce qui est ou paraît être acceptable pour la bourgeoisie. Tous les social-chauvins sont aujourd’hui « marxistes » — ne riez pas ! Et les savants bourgeois allemands, hier encore spécialisés dans l’extermination du marxisme, parlent de plus en plus souvent d’un Marx « national-allemand », qui aurait éduqué ces associations ouvrières si admirablement organisées pour la conduite d’une guerre de rapine ! » [*]

 

En cette année du centenaire de la mort de Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov), à la faveur d’une édition (que je n’ai plus dans sa version papier) disponible sur BnF Gallica, il m’a semblé important de relire L’État et la révolution, un des ouvrages les plus fondamentaux de Lénine.

Écrit en août-septembre 1917 dans la clandestinité en Finlande, L’État et la révolution, son dernier grand livre théorique, est resté inachevé : et pour cause, car, entre-temps, la Révolution d’Octobre avait eu lieu, propulsant son auteur en chef d’État, et le « condamnant », en quelque sorte, à ne plus écrire que des discours ou des articles de circonstance.

En effet, depuis son retour en Russie (il les avait aussi beaucoup étudiés en exil) et sentant que la question allait devenir primordiale, Lénine reprend les textes de Karl Marx et Friedrich Engels sur l’État et se les réapproprie.

« Selon Marx, l’État est un organisme de domination de classe, un organisme d’oppression d’une classe par une autre ; c’est la création d’un “ordre” qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes », relève-t-il. Or, Lénine, dans son esprit, ne peut « concilier » avec cet État bourgeois dominateur et oppresseur, ce qui implique une révolution pour le renverser.

Il plaide alors, comme Marx et Engels, pour une « extinction » de l’État : « Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’État prolétarien à l’État bourgeois. La suppression de l’État prolétarien, c’est-à-dire la suppression de tout État, n’est possible que par voie d’“extinction”. »

Lénine, ensuite, embraye sur leurs analyses historiques des révolutions de 1848 et 1871 (la Commune de Paris) pour étayer la nécessité (en opposition à la « dictature de la bourgeoisie » de l’État capitaliste et pour passer à la société communiste) de l’instauration d’une « dictature du prolétariat » : « De toute l’histoire du socialisme et de la lutte politique, Marx a déduit que l’État devra disparaître et que la forme transitoire de sa disparition (passage de l’État au non-État) sera “le prolétariat organisé en classe dominante”. »

Pour mieux encore préciser sa pensée, Lénine cite Engels : « Une chose absolument certaine, c’est que notre parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l’a déjà montré la grande Révolution française. »

Ce qui bien sûr nous frappe, avec le recul du temps, c’est que, dans L’État et la révolution, Lénine développe des conceptions libertaires très proches du communisme historique et du combat universel pour l’émancipation, et que, dans la construction du socialisme réel qui a suivi, le bureaucratisme qu’il dénonçait a pris le pas sur la liberté, pour conduire au stalinisme (l’horreur absolue) et, aujourd’hui, à sa caricature poutinienne.

Pourtant Lénine, par sa détermination, son endurance (même si, à cinquante ans, il était littéralement épuisé) et sa pugnacité ayant mené à un bouleversement du monde, demeure un des phares de la révolution.

 

Michel Sender.

 

[*] L’État et la révolution (Государство и революция, 1918) — (La doctrine marxiste de l’État et les tâches du prolétariat dans la révolution) de Lénine, Éditions en langues étrangères, Pékin (première édition, 1966 ; deuxième édition, 1976 ; 2e tirage, 1978) ; 168 pages, imprimé en République populaire de Chine (disponible sur BnF Gallica). [Texte de la deuxième édition de 1919, « sur la base des traductions existant en langue française », en fait celle des éditions de Moscou.]

"L’État et la révolution" de Lénine

Le site des éditions Les Bons Caractères, 6, rue Florian, 93500 Pantin, propose également une édition numérique gratuite de L’État et la révolution (mai 2019, 120 pages). [Même texte que les Éditions de Pékin sans les notes.]

https://www.lesbonscaracteres.com/

"L’État et la révolution" de Lénine

Les Bons Caractères rééditent ces jours-ci L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884) de Friedrich Engels, un grand classique du marxisme, auquel d’ailleurs se réfère grandement Lénine dans L’État et la révolution.

Publié dans Littérature

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