"Le cœur à rire et à pleurer" de Maryse Condé

Publié le par Michel Sender

"Le cœur à rire et à pleurer" de Maryse Condé

« Si quelqu’un avait demandé à mes parents leur opinion sur la Deuxième Guerre mondiale, ils auraient répondu sans hésiter que c’était la période la plus sombre qu’ils aient jamais connue. Non pas à cause de la France coupée en deux, des camps de Drancy ou d’Auschwitz, de l’extermination de six millions de Juifs, ni de tous ces crimes contre l’humanité qui n’ont pas fini d’être payés, mais parce que pendant sept interminables années, ils avaient été privés de ce qui comptait le plus pour eux : leurs voyages en France. Comme mon père était un ancien fonctionnaire et ma mère en exercice, ils bénéficiaient régulièrement d’un congé « en métropole » avec leurs enfants. Pour eux, la France n’était nullement le siège du pouvoir colonial. C’était véritablement la mère patrie et Paris, la Ville Lumière qui seule donnait de l’éclat à leur existence. Ma mère nous chargeait la tête de descriptions des merveilles du carreau du Temple et du marché Saint-Pierre avec, en prime, la Sainte-Chapelle et Versailles. Mon père préférait le musée du Louvre et le dancing la Cigale où il allait en garçon se dégourdir les jambes. Aussi, dès le mitan de l’année 1946, ils reprirent avec délices le paquebot qui devait les mener au port du Havre, première escale sur le chemin du retour au pays d’adoption. » [*]

 

À l’annonce de la mort de Maryse Condé, j’ai pensé bien sûr à Ségou ou Moi, Tituba sorcière… mais c’est vers un tout petit livre que je me suis tourné, Le cœur à rire et à pleurer, de merveilleux textes qu’elle-même avait sous-titrés Contes vrais de mon enfance et dédiés : « À ma mère ».

Un ouvrage également placé sous l’égide d’une citation du Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust : « Ce que l’intelligence nous rend sous le nom de passé n’est pas lui. »

Je n’en possède que l’édition France Loisirs (à la mise en page d’ailleurs très agréable), mais je sais que depuis il a été republié en collections de poche et en versions scolaires, preuve qu’il s’agit de récits fondamentaux permettant d’accéder facilement à l’écriture et ensuite à l’œuvre, multiple et variée, de Maryse Condé.

Maryse Condé va nous manquer — mais, comme toujours, il restera ses livres.

 

Michel Sender.

 

[*] Le cœur à rire et à pleurer (Contes vrais de mon enfance) de Maryse Condé [Robert Laffont, 1998-janvier 1999], collection « Évasion », éditions France Loisirs, Paris, août 1999 ; 144 pages (exemplaire cartonné souple).

"Le cœur à rire et à pleurer" de Maryse Condé

Les Entretiens de Maryse Condé avec Françoise Pfaff, parus en 1993 chez Karthala, m’ont également beaucoup aidé à apprécier et comprendre le parcours, riche et complexe, de Maryse Condé.

Publié dans Littérature

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