"Qui a tué mon père" d'Edouard Louis

Publié le par Michel Sender

"Qui a tué mon père" d'Edouard Louis

« Le mois dernier, je suis venu te voir dans la petite ville du Nord où tu habites maintenant. C’est une ville laide et grise. La mer est à quelques kilomètres à peine mais tu n’y vas jamais. Je ne t’avais pas vu depuis plusieurs mois – c’était il y a longtemps. Au moment où tu m’as ouvert la porte je ne t’ai pas reconnu.

Je t’ai regardé, j’essayais de lire les années passées loin de toi sur ton visage. » [*]

 

Le livre d’Édouard Louis débute comme un recueil de notations autobiographiques sur ses relations conflictuelles avec son père, dans un mélange de rejet et de détestation, dans la dénonciation de son racisme, de sa violence et de son homophobie, du malaise familial… pour ensuite parvenir à des constats et à des analyses de l’aliénation vécue par ce père : « Quand j’y pense aujourd’hui, j’ai le sentiment que ton existence a été, malgré toi, et justement contre toi, une existence négative. Tu n’as pas eu d’argent, tu n’as pas pu étudier, tu n’as pas pu réaliser tes rêves. Il n’y a dans le langage presque que des négations pour exprimer ta vie », écrit-il.

Au fur et à mesure du récit, Édouard Louis abandonne en effet les récriminations et reproches personnels au profit d’une compréhension exacerbée du vécu, des travers d’une vie broyée par le travail et l’accident, réduite aux aides sociales et aux médocs, à la souffrance physique et morale…

Il démontre alors que ce sont des mesures politiques (déremboursements de médicaments, diatribes contre les assistés, remplacement du RMI par le RSA, « loi Travail », réformes et déclarations macroniennes) qui modulent au fil du temps l’existence des faibles et qui les oppriment.

Alors il déclare qu’il faut les nommer (« Je veux faire entrer leurs noms dans l’Histoire par vengeance ») et c’est une véritable libération : « Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Bertrand, Chirac. L’histoire de ta souffrance porte des noms. L’histoire de ta vie est l’histoire de ces personnes qui se sont succédé pour t’abattre. L’histoire de ton corps est l’histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire. L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique. »

Tout est dit. Magistralement. Et ça fait du bien.

 

Michel Sender.

 

[*] Qui a tué mon père d’Édouard Louis [Éditions du Seuil, 2018], éditions Points, Paris, septembre 2019 ; 96 p., 5 €.

Publié dans Littérature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article