"Station Victoria" d'Anne Cuneo

Publié le par Michel Sender

"Station Victoria" d'Anne Cuneo

« Début mars.

Point du jour.

Je suis plantée devant la gare Victoria avec ma lourde valise en carton, les yeux pleins de larmes. Mon cerveau ose enfin formuler la question : « Et maintenant ? »

J’ai quatorze ans.

Depuis trois ans, j’ai mis de côté quelques centimes ici et là, parfois quelques francs, pour aller en Amérique. L’attente se prolongeant, j’ai fini par me faire à cette idée : je n’irais qu’à Londres. Et là, pas question de renoncer. Il faut que j’apprenne l’anglais, et vite, si je veux tenir mon programme — être mariée à vingt ans. Avec Gene Kelly, que j’ai vu dans Chantons sous la pluie. Il va de soi que Gene Kelly sera exactement le personnage de son film. Pour être remarquée, aimée, épousée, il me faut par conséquent apprendre l’anglais et la danse. Dans cette optique, Londres est une nécessité absolue. » [*]

 

Ayant déniché récemment une édition du roman d’Anne Cuneo, Le Maître de Garamond (Stock, 2002), je me suis avisé que je n’avais toujours pas lu Station Victoria, un livre paru pour la première fois en 1989.

Anne Cuneo (1936-2015), écrivaine suisse d’origine italienne née à Paris, fut également journaliste, Station Victoria, son premier ouvrage véritablement romanesque, lui permettant de transformer son écriture et de donner une nouvelle ampleur à son expression, un nouvel élan à sa création littéraire.

En effet, Station Victoria, qui raconte le séjour en Angleterre dans les années cinquante d’une jeune adolescente venant de Suisse, recoupe des aspects autobiographiques de la vie de l’auteure, cela se sent et se devine.

Sorte d’Harold et Maude moins tragique que l’original, Station Victoria, qui joue sur l’arrivée en gare à Londres de son héroïne Amalia et du fait qu’elle va rencontrer Miss Victoria Brown, une vieille femme (de plus de quatre-vingts ans) dynamique et accueillante qui va l’héberger chez elle, retrace toute l’atmosphère londonienne et britannique de cette époque et offre également à Anne Cuneo la possibilité de nous faire partager ses intérêts artistiques et sa philosophie de l’existence.

À travers des personnages inventés, elle y a manifestement placé, dans une forme souple et non guindée, la plupart de ses préoccupations sociales, culturelles et politiques.

Il en résulte un ensemble de pages très alertes et vives, faisant de Station Victoria un livre extraordinairement attachant et réussi qui donne envie d’en savoir plus sur la vie et l’œuvre d’Anne Cuneo.

 

Michel Sender.

 

[*] Station Victoria d’Anne Cuneo [Bernard Campiche, 1989 ; Denoël, 1998], collection « camPoche », Bernard Campiche Éditeur, Orbe (Suisse) ; 560 pages. www.campiche.ch

Publié dans Littérature

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