"Les Maîtres Sonneurs" de George Sand

Publié le par Michel Sender

"Les Maîtres Sonneurs" de George Sand

« Je ne suis point né d’hier, disait, en 1828, le père Étienne. Je suis venu en ce monde, autant que je peux croire, l’année 54 ou 55 du siècle passé. Mais, n’ayant pas grande souvenance de mes premiers ans, je ne vous parlerai de moi qu’à partir du temps de ma première communion, qui eut lieu en 70, à la paroisse de Saint-Chartier, pour lors desservie par monsieur l’abbé Montpérou, lequel est aujourd’hui bien sourd et bien cassé.

Ce n’est pas que notre paroisse de Nohant fût supprimée dans ce temps-là ; mais notre curé étant mort, il y eut, pour un bout de temps, réunion des deux églises sous la conduite du prêtre de Saint-Chartier, et nous allions tous les jours à son catéchisme, moi, ma petite cousine, un gars appelé Joseph, qui demeurait en la même maison que mon oncle, et une douzaine d’autres enfants de chez nous.

Je dis mon oncle pour abréger, car il était mon grand-oncle, frère de ma grand’mère, et avait nom Brulet, d’où sa petite-fille, étant seule héritière de son lignage, était appelée Brulette, sans qu’on fît jamais mention de son nom de baptême, qui était Catherine. » [*]

 

Feuilletant une édition des Romans champêtres [**] de George Sand, j’ai été emballé par l’écriture et la conception des Maîtres Sonneurs.

La beauté des « romans champêtres » de George Sand n’est plus à démontrer. Mais la particularité des Maîtres Sonneurs me semble consister dans le choix d’un narrateur unique, Étienne Depardieu (« Tiennet »), qui, au cours de trente-deux veillées, en 1828 et avec une cinquantaine d’années de recul, raconte une histoire dont il est un des protagonistes et qui a marqué sa vie.

Ce mode de narration donne une extraordinaire fluidité au roman et permet à George Sand de poursuivre sa recherche d’un langage berrichon complété d’un souffle poétique et populaire qui a merveilleusement conservé toute sa valeur.

Au début des années 1770, Tiennet, Brulette et Joseph (« Joset »), le fils de « la belle Mariton », ont quasiment été élevés ensemble et Tiennet et Joset sont amoureux de Brulette, qui n’arrive pas à se décider.

Surtout que Joseph manifeste un tempérament maladif et tourmenté (beaucoup de commentateurs évoquent une parenté de ce personnage avec la personnalité de Chopin) qui, très vite, se sent attiré par la musique et l’activité de ménétrier.

Sa rencontre avec le muletier Huriel et son père « le Grand-Bûcheux », tous deux cornemuseux et maîtres sonneurs originaires du Bourbonnais, va l’inciter à quitter le pays berrichon.

La maladie chronique de Joseph amènera Étienne et Brulette, à la demande du jeune Huriel et sur le conseil du père Brulet, à se rendre en Bourbonnais (pays de bûcheronnage) où Tiennet retrouvera Thérence, la fille du Grand-Bûcheux, qui lui plaît et dont il s’aperçoit qu’il l’avait croisée brièvement autrefois.

De son côté, Brulette éprouve petit à petit des sentiments pour Huriel tandis que Joseph sombre dans une espèce de folie existentielle…

Ainsi, dans Les Maîtres Sonneurs, George Sand tisse sa toile de passions simples et de quiproquos villageois (notamment sur l’adoption par Brulette d’un petit enfant inconnu), sur fond de fêtes et de mariages champêtres où l’on boit et danse jusqu’à l’épuisement pour compenser la langueur des jours.

Cependant la confrérie des muletiers (de très mauvaise réputation) et celle des maîtres sonneurs, comme une franc-maçonnerie vengeuse, ajoutent un brin de mystère romantique à cette somme de relations, finalement apaisées, qui, aujourd’hui encore, gardent tout leur intérêt et leur flamme originelle.

 

Michel Sender.

 

[*] Les Maîtres Sonneurs (1853) de George Sand, texte établi avec introduction, notes et choix de variantes par Pierre Salomon et Jean Mallion, édition revue et mise à jour, éditions Garnier Frères, Paris, novembre 1980 (1-81) ; XLVIII + 558 pages (illustrations non paginées).

"Les Maîtres Sonneurs" de George Sand

[**] Romans champêtres (La Mare au Diable, La Petite Fadette, François le Champi, Les Maîtres Sonneurs) de George Sand, édition établie et présentée par Georges Belle, éditions France Loisirs, Paris, avril 2004 ; 940 pages (cartonné sous jaquette).

Publié dans Littérature

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