"L'Oncle Robinson" de Jules Verne

Publié le par Michel Sender

"L'Oncle Robinson" de Jules Verne

« La portion la plus déserte de l’océan Pacifique est cette vaste étendue d’eau bornée par l’Asie et l’Amérique à l’ouest, et à l’est par les îles Aléoutiennes, et les Sandwich au nord et au sud. Les navires marchands s’aventurent peu sur cette mer. On n’y connaît aucun point de relâche et les courants y sont capricieux. Les long-courriers qui transportent les produits de la Nouvelle-Hollande à l’Ouest-Amérique se tiennent entre les latitudes les plus basses ; seul le trafic entre le Japon et la Californie pourrait animer cette partie septentrionale du Pacifique mais il est encore peu important. La ligne transatlantique qui fait le service entre Yokohama et San Francisco suit un peu plus bas la route des grands cercles du globe. Il existe donc là du quarantième au cinquantième degré de latitude nord ce que l’on peut appeler « le désert ». Peut-être, quelque baleinier se hasarde-t-il parfois sur cette mer presque inconnue ; mais bientôt il se hâte de franchir la ceinture des îles Aléoutiennes, afin de pénétrer dans ce détroit de Béring, au-delà duquel se sont réfugiés les grands cétacés trop vivement poursuivis par le harpon des pêcheurs.

  1. Australie. » [*]

 

L’Oncle Robinson figure dans les manuscrits de Jules Verne acquis en 1981 par la Ville de Nantes.

Il s’agit d’un roman inachevé, probablement commencé dès 1861 (bien avant Cinq Semaines en ballon ou Les Aventures du capitaine Hatteras), puis repris vers 1869 (il fut même annoncé dans un numéro du Magasin d’éducation et de récréation de juin 1870) et finalement abandonné du fait d’avis négatifs de Pierre-Jules Hetzel, éditeur et ami à qui Verne l’avait confié, mais aussi à cause du déclenchement de la guerre franco-allemande et d’autres projets d’écriture.

En revanche, Jules Verne se servit ouvertement de sa rédaction de L’Oncle Robinson pour composer la première partie du livre qui, pour lui, était dans la continuation des Enfants du capitaine Grant et de Vingt Mille Lieues sous les mers, à savoir L’Île mystérieuse (1874-1875).

Pris à part et redécouvert plus d’un siècle après, L’Oncle Robinson, malgré son caractère d’ébauche, nous intéresse comme une authentique robinsonnade (Verne adorait ouvertement Robinson Crusoé de Defoe et Le Robinson suisse de Wyss) et par la force imaginative, déjà présente, de Jules Verne.

L’histoire du roman reste simple, celle d’une femme (Mrs. Clifton) et ses quatre enfants (Marc, dix-sept ans ; Robert, quinze ans ; Jack, huit ans ; et Belle, sept ans), accompagnés d’un marin français (Flip, plus tard appelé « Oncle Robinson »), échoués ensemble sur une île déserte après avoir été jetés par des mutins d’un navire, le Vankouver, en plein océan Pacifique.

Leur père, l’ingénieur Harry Clifton, a été fait prisonnier avec leur chien Fido et se trouve, pour l’heure, séparé de sa famille.

C’est donc Flip qui, aidé des uns et des autres, va organiser la vie sur l’île isolée, imaginer des lieux d’habitation (d’abord, une barque renversée puis une grotte aménagée), mettre au point des moyens de subsistance permanents (à base de chasse et de pêche), en explorer la détermination géographique (« une île plus grande que l’île d’Elbe et d’une superficie double de celle de Sainte-Hélène »), répartir les tâches, etc.

Ainsi, L’Oncle Robinson a toutes les caractéristiques d’un ouvrage de découverte scientifique, avec toute la riche documentation de l’époque et de l’auteur, et pour laquelle l’aide des annotateurs modernes nous reste indispensable.

Il garde surtout la grande poésie de Jules Verne, un écrivain toujours curieux et démonstratif, toujours passionnant.

 

Michel Sender.

 

[*] L’Oncle Robinson de Jules Verne, édition établie par Christian Robin, avec la collaboration de Luce Courville, Jacques Davy et Claudine Sainlot [Le Cherche Midi éditeur, 1991], Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, octobre 2001 ; 320 pages, impression de novembre 2011. « Ce livre vous est offert par votre libraire et ne peut être vendu. » Pastille en couverture : « Livre offert pour deux Le Livre de Poche achetés ».

Couverture de l'édition originale de 1991

Couverture de l'édition originale de 1991

En aparté. J’ai été intrigué, page 105 du Livre de Poche, par l’expression chien de cuisine dans le passage suivant : « Une baguette, faisant office de broche, traversa le lapin de la queue à la tête. Deux fourches, destinées à recevoir ses extrémités, furent enfoncées dans le sol, et un feu flambant fut entretenu au-dessous de ce futur rôti. Maître Jack fut chargé de faire tourner l’appareil, et un chien de cuisine ne se fût pas acquitté plus intelligemment de sa tâche. »

N’en trouvant pas d’occurrence immédiate, c’est la traduction française d’un proverbe anglais (L’avare, comme le chien de cuisine, tourne la broche pour autrui : The covetous man, like a dog in a wheel, roast meat for others) qui m’a permis de faire le rapprochement avec l’existence historique de chiens tournebroche (en anglais, turnspit dog ou vernepator cur), dont atteste par exemple une des définitions de tournebroche par Littré : « Chien qu'on met dans une roue pour faire tourner la broche. »

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