"Le Fauteuil hanté" de Gaston Leroux

Publié le par Michel Sender

"Le Fauteuil hanté" de Gaston Leroux

« — C’est un vilain moment à passer…

— Sans doute, mais on dit que c’est un homme qui n’a peur de rien !…

— A-t-il des enfants ?

— Non !… Et il est veuf !

— Tant mieux !

— Et puis, il faut espérer tout de même qu’il n’en mourra pas !… Mais dépêchons-nous !…

En entendant ces propos funèbres, M. Gaspard Lalouette — honnête homme, marchand de tableaux et d’antiquités, établi depuis dix ans rue Laffitte, et qui se promenait ce jour-là quai Voltaire, examinant les devantures des marchands de vieilles gravures et de bric-à-brac — leva la tête…

Dans le même moment, il était légèrement bousculé sur l’étroit trottoir par un groupe de trois jeunes gens, coiffés du béret d’étudiant, qui venait de déboucher de l’angle de la rue Bonaparte, et qui, toujours causant, ne prit point le temps de la moindre excuse.

M. Gaspard Lalouette, de peur de s’attirer une méchante querelle, garda pour lui la mauvaise humeur qu’il ressentait de cette incivilité, et pensa que les jeunes gens couraient assister à quelque duel dont ils redoutaient tout haut l’issue fatale. » [*]

 

Ce sont les illustrations intérieures de Jeanne Puchol (des chapeaux en ombres chinoises et des dessins pleine plage très contrastés en noir et blanc) qui m’ont donné envie de lire Le Fauteuil hanté de Gaston Leroux, un court roman dont le pitch connu ne me passionnait pas d’emblée, alors que Gaston Leroux, depuis La Poupée sanglante ou Le Roi Mystère (voir ce blog le 5 août 2022), reste un de mes auteurs de littérature populaire de prédilection.

L’histoire de trois personnes élues à l’Académie française mais mourant brutalement pendant ou juste avant leur discours de réception me semble totalement loufoque, même si récemment les déboires des élections d’Alain Robbe-Grillet, refusant de porter le costume (« l’habit vert ») et n’ayant jamais été « intronisé », ou de celle de François Weyergans faisant attendre très longtemps (« 27 mois » : « Nous avons failli attendre », lui avait répondu Erik Orsenna) sa réception, ne manquaient pas de dérision.

L’enquête menée par le secrétaire perpétuel, l’illustre M. Hippolyte Patard, pour essayer de démêler l’intrigue ne me paraît pas très sérieuse, non plus que les élucubrations d’un sâr Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox (même si l’on sait qu’il parodiait Joséphin Peladan) ou les pratiques douteuses du savant fou Loustalot.

Le plus cocasse demeure en fait le choix du quatrième candidat retenu pour le fauteuil de Mgr d’Abbeville, l’antiquaire et collectionneur Gaspard Lalouette qui, au bout du bout, avouera ne pas savoir lire, ce qui ne l’empêchera pas, au contraire, d’être accueilli chaleureusement et triomphalement sous la Coupole !

Il faut dire que l’ingéniosité de Gaspard Lalouette, apprenant par cœur avec l’aide de sa femme les définitions du dictionnaire Larousse illustré (« —Pourquoi illustré ? » « — À cause des images qui, dans l’ignorance où je suis de la signification de ces petits signes bizarres appelés lettres, me sont d’un grand secours. » « — À ce compte, vous auriez mieux fait, monsieur Lalouette, d’apprendre par cœur le dictionnaire de l’Académie. — J’y ai bien pensé, acquiesça en riant M. Lalouette, mais vous l’auriez reconnu. »), ravit M. Hippolyte Patard, qui se rend à l’évidence :

« — Ah oui !

Et il resta un instant rêveur.

Tant d’intelligence, de perspicacité et de courage lui donnèrent à penser. Il connaissait des gens à l’Académie qui savaient lire et qui ne valaient certainement pas M. Gaspard Lalouette. »

En fait, avec Le Fauteuil hanté, plutôt réalisé par-dessus la jambe, Gaston Leroux nous a et s’est fait plaisir, multipliant les bons mots et les réparties délirantes, dans un rire surréaliste et décalé.

 

Michel Sender.

 

[*] Le Fauteuil hanté (Je sais tout de novembre 1909 à avril 1910 ; Pierre Lafitte, 1911) de Gaston Leroux, illustrations de Jeanne Puchol, collection « Folio Junior », éditions Gallimard, Paris, 1995 ; 224 pages, impression de février 2006 (couverture d’Henri Galeron).

Publié dans Littérature

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