"La Graine ardente" de Luis Sepúlveda
« Un maté dans l’atelier
Prenez une guitare, de l’herbe parfumée,
des poèmes, de l’eau qui vient de bouillir
et quelques tiges de verveine.
Tout ça par un soir de pluie.
Mais il est indispensable
que l’amie Juana vienne
nous tenir informés dans la grandeur
des derniers commérages.
Buvez, amers comme une peine
en lisant Pablo de Rokha et Leόn Felipe
devant le souvenir de Violeta Parra.
Sur le brasero, l’arôme du fromage de Melipilla
et du jambon de Chillán nous invitent.
Et ainsi, entre deux gorgées, entre chansons et poèmes,
passeront les heures sans sortir dans le froid
(parce qu’une vieille penseuse a dit un jour
que ça tordait la bouche).
Avec l’averse de juin,
la calebasse, de sa voix de tonnerre
comme un vieux gaucho mythologique
criant dans la tempête,
nous avertit que l’eau est épuisée. » [*]
Quelle joie, quelle surprise, trois ans après sa mort (voir ce blog le 18 avril 2020), de découvrir en français, directement en livre de poche dans la collection « Points Poésie » que dirige aujourd’hui Alain Mabanckou et avec une préface chaleureuse de Louis-Philippe Dalembert, écrivain haïtien, la Poésie complète (1967-2016) de Luis Sepúlveda.
Une joie, bien sûr mêlée de tristesse, mais qui nous confirme — toute son œuvre le prouve — que Luis Sepúlveda était un authentique poète et qu’il avait par ailleurs une intelligente conception de son métier [**] : « Je n’ai jamais accepté les lauriers du poète, me sachant à peine un artisan des mots, de ces mots que les poètes sèment, arrosent, cultivent avec une ténacité amoureuse et que, plus tard, profitant des heures nocturnes où je m’adonne à mon métier de créateur de fictions, je récolte et organise sans autre critère que la force qui me pousse à écrire », précise-t-il dans le court texte « Excusez-moi… C’est possible ? En guise d’introduction ».
Pour vous présenter le recueil, j’ai choisi un poème du début (dans la partie Premiers poèmes, 1967-1972), pour nous rappeler l’ambiance chilienne d’avant le coup d’État du 11 septembre 1973, brutale cassure pour nous tous, mais je n’oublie pas ses poèmes militants et tous les autres, d’exil ou pas.
De toute façon, ce qui nous importe, c’est d’y retrouver la simplicité généreuse de Luis Sepúlveda, si présent dans notre mémoire.
Michel Sender.
[*] La Graine ardente — Poésie complète. 1967-2016 (Disculpe… ¿ Se puede ? Poesía completa. 1967-2016) de Luis Sepúlveda, inédit, édité par Alejandro Céspedes, préface inédite de Louis-Philippe Dalembert, traduit de l’espagnol (Chili) par Stéphane Chaumet, collection « Points Poésie », éditions Points, avril 2023 ; 272 pages. www.editionspoints.com
[**] J’aime aussi beaucoup le poème Métiers (page 143), que j’aurais pu également choisir, qui figure dans la partie Ballade de l’oreille coupée (1979-1986) du recueil.