"L'Auberge de l'abîme" d'André Chamson

Publié le par Michel Sender

"L'Auberge de l'abîme" d'André Chamson

« — On ne va pas très vite, dans ces pierres, même avec une bête de race...

L'homme était sorti d'un buisson de genêts et, planté sur une roche, se tenait à la même hauteur que le cavalier. Celui-ci ramena son cheval qui avait fait un léger écart et, fermant les mains, immobilisa sa monture.

— Je peux être à Meyrueis avant la nuit ?

— Holà, mais c'est déjà la nuit et vous avez bien encore quatre heures de route. Non, mon... lieutenant, il vaut mieux pour vous dormir en chemin.

Lieutenant ?... Il n'y a plus de galons qui tiennent sur aucune manche... Pourquoi lieutenant ?

— J'ai servi, dit l'homme, « Division Saint-Hilaire, 43e de ligne et pas mal de campagnes. J'ai reconnu la culotte et le passepoil de l'arme sous votre redingote de civil... Les dragons... »

— 6e, dit le cavalier, les deux poings sur les cuisses, penché vers cet homme sorti de la lande, brusquement jailli des broussailles. » [*]

 

Après la lecture du Puits Sans-Nom de Mireille Pluchard, qui évoque en son commencement la Vallée Longue des Cévennes puis les mines d’Alès et de La Grand-Combe (voir ce blog le 27 mai 2023), j’ai replongé dans des livres d’André Chamson (1900-1983), auteur né à Nîmes et ayant vécu au Vigan. (Il faudrait relire aussi Jean-Pierre Chabrol dont Les Rebelles lui étaient dédiés.)

D’André Chamson, j’aime beaucoup Roux le Bandit ou Les Hommes de la route, mais j’ai choisi un court roman des années trente, L’Auberge de l’abîme, récit historique (on peut le situer en 1815) qui se fond totalement dans la localisation géographique des Cévennes et des environs du mont Aigoual.

Le personnage principal, un hussard (« le voyageur en culottes vertes »), le lieutenant Armand, après les guerres napoléoniennes, rentre chez lui à Mende et s’arrête en route à une auberge du col de la Serreyrède.

Là, il y croise un ancien soldat de la Grande Armée blessé à Eylau et le médecin de Saint-Sauveur-Camprieu, toujours par monts et par vaux pour soigner les malades, témoin de la désertification des villages.

Une conversation plutôt sympathique s’engage entre eux, mais le hussard récemment démobilisé (« J’arrive tout droit des bords de la Loire où l’armée a fait sa retraite ») ressent, dans la région comme dans le pays, une atmosphère lourde et hostile :

« Partout où je passe, dans mes défroques de vaincu, je sens la colère et la haine des gens qui m’accompagnent, dit-il. À Lyon, la ville était en état de siège. Dans la vallée du Rhône, des enfants m’ont jeté des pierres. À Nîmes, il y avait des séditions et des émeutes, des hommes armés, en cocardes blanches, qui réclamaient la mort des militaires… »

Ainsi, le lendemain, poursuivant son chemin et croisant un groupe d’hommes armés qui l’arrêtent, le voyageur prend peur et tue, par un réflexe de légitime défense, un des chasseurs, un des fils de l’aubergiste de la Serreyrède.

L’ancien lieutenant est alors poursuivi avec hargne, son cheval abattu, et il ne trouve, dans la précipitation, d’autre refuge que l’abîme de Bramabiau, gouffre naturel et méconnu, objet d’une « Grande Peur » et de superstitions des habitants du coin.

En fait, seul le vieux médecin explore la grotte et sa rivière souterraine, il y amène avec lui sa fille pour y soigner le fugitif : une idylle, sans doute, naît — mais le danger et l’inconnu demeurent…

André Chamson dédia L’Auberge de l’abîme à Henri Mondor, écrivain et médecin qui l’avait opéré de l’appendicite, et, d’après son propre témoignage dans Devenir ce qu’on est, écrivit (en convalescence en Slovaquie dans les Hautes Tatras) « en quelques jours les trois quarts » du livre, mais, ensuite, mit « plus d’un an à l’achever ».

Car, dans la continuité de sa conception de L’Homme contre l’Histoire, son essai de 1927, André Chamson s’intéressait à la pâte humaine, au grain de la vie et à ses injustices.

 

Michel Sender.

 

[*] L’Auberge de l’abîme d’André Chamson [Éditions Bernard Grasset, 1933], éditions Presses Pocket, Paris, septembre 1974 ; 192 pages (en couverture, illustration photo du téléfilm, adapté par Jean-Louis Bory, de Jean-Loup Berger).

"L'Auberge de l'abîme" d'André Chamson

L’Auberge de l’abîme figure, avec entre autres Roux le Bandit (1925) et Les Hommes de la route (1927), dans Le Livre des Cévennes des éditions Omnibus en 2001 (préface de Frédérique Hébrard, introduction de Micheline Cellier-Gelly).

"L'Auberge de l'abîme" d'André Chamson

L’Auberge de l’abîme, pas seulement à cause du Hussard, me fait penser à Jean Giono, puis, plus récemment, au Hussard d’Arturo Pérez-Reverte (voir ce blog le 31 octobre 2022).

Publié dans Littérature

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