"L'Exécution" de Robert Badinter

Publié le par Michel Sender

"L'Exécution" de Robert Badinter

« Nous sommes arrivés devant la maison. Il faisait encore nuit. Le concierge nous attendait dans un grand état d'excitation. Des journalistes avaient essayé de pénétrer dans l'immeuble. Ils voulaient à tout prix s'assurer que je ne me trouvais pas chez moi. Car mon absence, à cette heure, signifiait la mort de Bontems.

Dans l'appartement, les lumières étaient demeurées allumées. Tout était silencieux. Je suis allé à la cuisine. La théière, les tasses étaient encore sur la table. Nous nous sommes assis, ma femme et moi, l'un en face de l'autre, comme tout à l'heure. 

Nous sommes restés là, tous les deux, sans rien dire. J'ai pensé que demain matin, je n'irai pas faire mon cours, j'ai rectifié intérieurement : non, ce matin. J'ai regardé l'heure. Il était six heures passées. Hier, à la même heure, Bontems dormait sans doute. Son angoisse de la nuit était achevée. Aujourd'hui aussi. Et pour toujours.

Bontems était mort. J'avais vu Bontems aller à sa mort. J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L'avocat d'un mort, c'est un homme qui se souvient, voilà tout.

La guillotine rend tout dérisoire. Il n'y a pas de révision possible, pas de grâce possible, pas de libération possible, pour le décapité. Je ne pouvais plus rien pour Bontems. C'était la vérité nue, la seule de cette nuit. Quel était donc le sens de tout ce qui s'était passé, de tout ce que nous avions fait ou voulu faire pour lui, nous ses avocats ? Je regardais mon image dans la glace. Ce n'était pas là que s'inscrivait la réponse. Il n'y a pas de tête d'assassin. Il n'y a pas non plus de visage d'avocat vaincu. J'éteignis la lumière. La vie, ma vie continuait. Je n'en étais pas quitte pour autant. Cette nuit-là, je le savais maintenant, ne s'achèverait pas à l'aube. » [*]

 

Pour moi, L’Exécution de Robert Badinter fut un livre fondamental.

Après sa lecture, il n’était plus possible d’être favorable à la peine de mort.

De plus, c’était un récit poignant, d’une grande écriture classique.

Car, à la suite de Victor Hugo, Robert Badinter était un combattant et un écrivain.

Après sa mort, vont venir les hommages, les dithyrambes, les pleurs… la panthéonisation sans doute.

On s’en fout. Relire L’Exécution.

 

Michel Sender.

 

[*] L’Exécution de Robert Badinter [éditions Grasset, 1973], Le Livre de Poche, Paris, réimpression du 1er trimestre 1979 ; 224 pages.

Publié dans Littérature

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