Atar-Gull et Mademoiselle de La Ferté

Publié le par SENDER



« M. Pierre Benoit n’a pas de chance, à moins qu’au contraire il n’en ait beaucoup ! Il se trouve presque toujours, à chacun d’un de ses nouveaux livres, un auteur pour protester qu’il avait déjà, avant lui, écrit quelque chose comme ça. Pour L’Atlantide, ce fut M. Ridder-Haggard. Pour Le Lac Salé, l’ombre de Victor Hugo. Cette fois-ci, ce va être l’ombre d’Eugène Sue. »


Tombant sur un exemplaire non coupé d’Atar-Gull [*] d’Eugène Sue (je ne disposais que de l’édition Marabout de 1975), publié chez Ollendorff comme numéro 1 d’une collection qui n’en eut, semble-t-il, que trois, je découvre, après une préface générale vantant l’intérêt de nos colonies et la nécessité de connaître notre littérature maritime, un deuxième texte de Pierre Mille (1864-1941), intitulé Atar-Gull et Mlle de La Ferté.


Pierre Benoit (1886-1962) vient, en effet, en 1923, de publier Mademoiselle de La Ferté chez Albin Michel (d’aucuns estiment aujourd’hui qu’il s’agit de son chef-d’œuvre), le nouveau roman dont, depuis Kœnigsmark (1918) et L’Atlantide (1919), il crédite chaque année ses lecteurs, avec, à chaque fois, il faut bien le dire, un immense succès !


Or, depuis, exercice national des échotiers en mal de publicité, chaque année (Albert Thibaudet en témoigne dans ses chroniques) on cherche qu’elle a pu être l’ « inspiration » (Pierre Benoit manque beaucoup d’imagination estime Pierre Mille et de nombreux contemporains, ou plus précisément : « Si Eugène Sue avait plus d’imagination, M Pierre Benoit a plus de savoir-faire ») qui a boosté le « savoir-faire » (entendez que c’est un « faiseur ») de M. Pierre Benoit !


J’adore cette époque où l’on pouvait avec élégance écrire les pires vacheries sur un « confrère » (qui, de plus, mélangeait maurrassisme et aristocratisme de bon aloi) et, en forme de duel, publier dans la foulée l’objet du délit, cet Atar-Gull d’un feuilletoniste prolétaire et débutant, admirateur lui-même de Fenimore Cooper : « Il improvisait, visiblement, avec cette recherche des grands mots, cet abus de la prosopopée, qui caractérisent la période héroïque du romantisme », alors que « M. Pierre Benoit ménage mieux, j’oserais dire plus malicieusement, ses effets ».


Car Pierre Mille persiste et signe : « J’avais lu Atar-Gull, d’Eugène Sue. Je viens de le relire pour préciser mes souvenirs. Et j’ose affirmer que l’identité des deux situations et de la psychologie du personnage, dans l’un et l’autre de ces deux romans, est criante. Le personnage, dans Mademoiselle de La Ferté, est une femme et une Française. Dans Atar-Gull, c’est un homme et un nègre. Mais c’est la seule différence. »


Eugène Sue (1804-1857), dans Atar-Gull, en 1831 (c’étaient ses débuts littéraires bien avant Les Mystères de Paris), avait raconté la formidable vengeance d’un noir esclave de la Jamaïque dont le père a été pendu par son maître, « bon nègre » récompensé pour son dévouement envers lui par un « prix de vertu » (le Prix Monthion décerné par l’Académie française) et qui meurt « nostalgique et chrétien », après avoir confondu et rejeté la société tout entière : « Oh ! que c’est pitié... pitié de voir ces savants, ces philanthropes, cette élite de Paris, de leur Paris... du monde... être joués par un misérable esclave, un pauvre nègre, qui a encore le dos tout meurtri des coups de fouet du commandeur... », s’écrie-t-il dans une ultime et bénéfique révolte !


« Et Mlle de La Ferté ne quitte ce monde que vingt ans plus tard, environnée du respect universel, tenue pour une sainte, et laissant tout ce qu’elle possède à des œuvres de bienfaisance. C’est une belle histoire de vengeance, volontairement traitée par des procédés balzaciens »
, ajoute, dernier coup de pied de l’âne, Pierre Mille.


Autres ironies de cette histoire : la société, après tous les succès qu’obtinrent ses romans, accueillit en 1931 M. Pierre Benoit à l’Académie française et son éditeur, Albin Michel, avait racheté dès 1924 la librairie Paul Ollendorff et l’ensemble de son fonds (dont toute l’œuvre de Maupassant, le Jean-Christophe de Romain Rolland, etc.) !

Michel Sender.


[*] Atar-Gull d’Eugène Sue, collection « Le Roman de Mer et d’Outre-Mer » sous la direction de Pierre Mille, n° 1, Librairie Ollendorff, Paris, sans date [1923-1924] ; 192 p. (Paris, imp. Crozatier, 3, impasse Crozatier, 12e).




[Atar-Gull (par Eugène Sue, auteur de Plik et Plok) parut pour la première fois en 1831 chez Charles Vimont, libraire-éditeur, à Paris.]

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S
Pierre Benoit, très vieux souvenir. Lorsque je suis sortie des bibliothèques rose et verte, c'est pas hier (!), il y a eu Bob Morane, Les Contes et Légendes et, pour attaquer le Livre de Poche, "L'Atlantide" de Pierre Benoit. Même si les options politiques de l'auteur, depuis, m'ont engagée à moins d'enthousiasme,c'est une grande étape de mon parcours de lectrice. Merci de l'avoir ramenée à la surface.
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