Un "blog" de François Mauriac

Publié le par Michel Sender

 

 

 

« Il ne faut pas chercher dans ce titre un jeu de mots. Sans doute s’agit-il d’un recueil d’articles ; mais je conçois le journalisme comme une sorte de journal à demi intime ; – comme une transposition, à l’usage du grand public, des émotions et des pensées quotidiennes suscitées en nous par l’“actualité”.

Sur ce plan, il arrive qu’une maladie ou une simple lecture prenne presque autant de valeur qu’une révolution : c’est leur retentissement dans notre vie intérieure qui mesure l’importance des événements. »


Cet Avertissement que place François Mauriac (1885-1970) en tête de Journal [*] qu’il publie en 1934 marque l’ambiguïté du titre qu’il a choisi car, s’il suit une certaine chronologie, son livre n’est pas un journal (contrairement à André Gide, qu’il commente continuellement, Mauriac n’est pas un diariste) mais plutôt un recueil d’articles regroupés par thèmes mais où sa subjectivité s’exprime librement.


À l’heure où l’on réédite par exemple son Bloc-Notes, ses chroniques de télévision ou ses articles d’une période donnée, notamment La Paix des cimes (Chroniques 1948-1955) [**], j’ai plongé dans ce Journal, trouvé récemment dans une brocante et qui eut d’autres tomes les années suivantes, inaugurant un genre qui fit de François Mauriac un « blogueur » avant la lettre…


François Mauriac n’a pas cinquante ans mais il évoque déjà la vieillesse, les suicides de jeunes hommes dans son entourage, la maladie, la réussite (il a été élu, en 1933, à l’Académie française : « Académie Française, ces deux mots ont un pouvoir magique », écrit-il) : « Sois prêt à recevoir la douleur, le plaisir, la réussite, sans en mourir », se dit-il, sur un ton de chrétien doloriste où le plaisir « avilit » et la réussite « tue »


Il s’interroge, évoquant la mort d’Anna de Noailles (on ne dira jamais assez combien ses poèmes furent lus dévotement à son époque), sur « l’œuvre et l’homme » et « cette soudaine mise en place d’une œuvre, à peine son auteur a-t-il expiré » : « Ce brusque miracle s’accomplit surtout lorsque l’artiste, mêlé à la société et soumis à ses rites, fut un ami qu’on appelait familièrement “Marcel” et qu’on trouvait gentil, compliqué et potinier ; ou une femme qui était “Anna”, toujours en retard et qui, dans les maisons où elle dînait, nous empêchait de nous mettre à table avant neuf heures et demie… Ils meurent ; et instantanément A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, les poèmes de la comtesse de Noailles, s’inscrivent à la place qu’ils ne perdront plus dans la littérature universelle. »


Il est impossible de résumer ce livre, sauf qu’il nous restitue une époque, un écrivain et ses réactions données, inénarrables en quelque sorte, par exemple devant l’affaire Violette Nozière (il inscrit pudiquement « V. N. ») qui éclata en août 1933 et ravit les Surréalistes, et qui provoque une conclusion « enflammée » de François Mauriac : « Criminelle entre les criminelles qui la montrent du doigt, la plus infâme de toutes, la jeune fille perdue, absolument seule, dans ce désert que crée autour d’elle, à jamais, l’horreur de son double attentat, détient pourtant le droit de s’approcher, comme une carmélite, comme chacun de nous, et avec la même confiance, de la petite hostie. »


Personnellement, je n’y aurais pas pensé mais c’est ça, finalement, le charme des vieux livres, des anciens « blogs » – et du « jeune » François Mauriac…


Michel Sender.


[*] Journal de François Mauriac, éditions Bernard Grasset, Paris, janvier 1934 ; 240 pages (12 fr., 17e Edition).


[**] La Paix des cimes (Chroniques 1948-1955) de François Mauriac, 3édition revue et corrigée, établie, présentée et annotée par Jean Touzot, collection « Omnia », éditions Bartillat, Paris, mars 2009 ; 640 pages, 14 €.
www.editions-bartillat.com

Publié dans Littérature

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François Mauriac est actuellement très à la mode, témoin : une série du matin sur France Culture. Doit-on y voir un cycle ordinaire de la mode ou, moins encourageant, l'absence de grande figure dans le monde des lettres aujourd'hui ?
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